Rareté de la main-d’œuvre : gare aux pièges de certains employeurs!
Depuis quelques années déjà, et comme dans bien d’autres industries, la construction n’échappe pas au phénomène de la rareté de la main-d’œuvre. La Commission de la construction du Québec (CCQ) a brossé le portrait de la situation jusqu’en 2025. Ses perspectives régionales estiment à 180 000 le nombre de travailleurs actifs requis à moyen terme. Et les besoins en nouveaux salariés s’élèvent à 13 100 en moyenne chaque année.
À la lumière de ces données, on comprend rapidement que les travailleurs de la construction sont recherchés et le seront encore pour une longue durée. On comprend également que les employeurs essaient actuellement de les attirer en chantier, mais aussi de les y maintenir. Cependant, leur fin ne justifie pas leurs moyens. Les employeurs ont des obligations à respecter, comme celles liées aux conventions collectives. Et certains outrepassent les règles pour faire face à la concurrence. Des pièges sont donc à éviter. Regardons ça de plus près.
DES PRATIQUES ILLÉGALES ET INUSITÉES
Certains employeurs tentent pour ainsi dire « d’attacher » les travailleurs à leur entreprise. Autrement dit, ils utilisent toutes sortes de stratagèmes illégaux afin de rendre leur main-d’œuvre dépendante de leur lien d’emploi. Depuis deux ans, nous avons observé quelques cas d’espèce et bien malheureusement, au cours des derniers mois, ces pratiques s’intensifient.
Voici des exemples auxquels vous pourriez être confronté et auxquels vous devez dire non.
CLAUSE DE NON-CONCURRENCE
Il arrive que des employeurs fassent signer à leurs salariés une clause de non-concurrence. Concrètement, cela veut dire qu’ils leur exigent un engagement écrit, comme un contrat d’exclusivité. Ainsi, les travailleurs n’ont plus la liberté d’œuvrer pour les employeurs de leur choix. Certains vont même jusqu’à menacer leurs travailleurs avec des poursuites pouvant atteindre des milliers de dollars, dans le cas où ils enfreindraient la clause. Cette pratique est non seulement scandaleuse, mais aussi, vous l’aurez deviné, totalement contraire à la loi.
AVANCE DE SALAIRE
Il arrive également que des employeurs effectuent des avances sur le salaire de leurs travailleurs. Des heures en réserve s’accumulent alors à leur dossier et ils deviennent redevables à leur employeur. À première vue, le salaire payé d’avance peut paraître alléchant, mais cette façon de faire rend littéralement les travailleurs vulnérables, lorsque vient le moment de dénoncer une pratique interdite. En effet, puisque les travailleurs ont maintenant une dette envers leur employeur, ils s’avouent impuissants face à la défense de leurs droits. C’est inconcevable, quand on se rappelle que des conventions collectives existent pour les protéger.
CADEAUX EN TOUT GENRE
Il arrive aussi que certains employeurs offrent des pneus, des cartes-cadeaux d’essence, des matériaux de construction… bref, la liste de présents est longue chez ceux qui tentent de contourner le paiement des sommes prévues aux conventions collectives pour les salaires et les indemnités. Ces cadeaux en tout genre semblent peut-être intéressants, mais remplacent-ils réellement le paiement des heures supplémentaires, des frais de déplacement, des avantages sociaux ou des indemnités de congé (paie de vacances)? Clairement, la réponse est non.
DES OBLIGATIONS À RESPECTER
Détenir une licence d’entrepreneur en construction est un privilège. Mais ce privilège ne vient pas seul. Il vient avec une multitude d’obligations, dont plusieurs envers vous. Ces obligations sont exigées par vos conventions collectives qui portent sur vos conditions de travail et votre rémunération. Et en ce qui concerne spécialement votre rémunération, vous l’avez lu plus haut, certains employeurs cherchent à l’éviter par des moyens détournés. On vous rappelle alors qu’il n’y a aucun compromis à faire sur votre salaire ni sur votre santé et votre sécurité, d’ailleurs. Nous retenons donc votre attention sur quelques obligations fondamentales des employeurs.
OBLIGATIONS FINANCIÈRES
Les employeurs doivent payer les heures normales de travail selon les taux de salaire prévus aux conventions collectives. Cela va de soi aussi pour certaines primes, comme celles applicables au déplacement d’horaire, aux travaux de décontamination ou celle qui se rattache à la supervision d’équipes de travail.
Les employeurs doivent également payer les heures supplémentaires selon les dispositions prévues aux conventions collectives. Et ces heures supplémentaires, ne l’oublions pas, contribuent à augmenter l’indemnité de congé – paie de vacances – qui représente 13 % du salaire.
Et ils doivent aussi payer les frais de déplacement. Ceux-ci comprennent les frais de stationnement, le temps de transport au bénéfice de l’employeur, les frais de chambre et pension au-delà de 120 kilomètres du domicile (ces derniers varient de 137,50 $ à près de 160,00 $ par jour travaillé, selon le secteur d’activité).
OBLIGATIONS EN MATIÈRE DE SANTÉ ET SÉCURITÉ
Les obligations des employeurs ne sont pas que pécuniaires. Elles concernent aussi la santé et la sécurité du travail. Les employeurs sont en effet les premiers responsables de chantiers sains et sécuritaires. Rareté de main-d’œuvre ou non, ils ne peuvent en aucun cas négliger l’application des mesures prévues au Code de sécurité pour les travaux de construction (CSTC).
Pourtant, c’est déconcertant, des mesures d’hygiène de base ne sont toujours pas respectées en chantier. De quoi s’agit-il exactement? D’installation de toilettes et de lavabos conformes; d’approvisionnement en eau potable; d’accès à un local pour les repas lorsque le chantier occupe au moins 10 travailleurs pendant plus de 7 jours1. Des mesures qui, en 2022, devraient de toute évidence être un acquis.
Si vous vivez une situation en chantier qui n’est pas conforme, peu importe soit-elle, vous devez faire appel à nos représentants afin qu’ils puissent s’occuper du respect de vos droits. C’est notre mandat.
UN AVENIR À PRÉPARER
Vous l’aurez compris, le phénomène de la rareté crée des remous dans notre industrie et entraîne certains employeurs davantage dans de mauvaises pratiques. Ce n’est toutefois pas de cette façon qu’ils sauront attirer et maintenir la main-d’œuvre sur nos chantiers. Ils ont des obligations et ils doivent les respecter. Des conventions collectives existent, un Code de sécurité pour les travaux de construction aussi.
Honorer la loi, c’est d’abord ça la clé, le vrai point de départ pour stabiliser les emplois. Et des solutions existent, par ailleurs, à même les conventions pour attirer et retenir la main-d’œuvre en toute légalité. À titre d’exemple, dans le secteur résidentiel, les taux de salaire peuvent être bonifiés, selon la bonne volonté des employeurs.
Enfin, il reste encore aux employeurs une autre voie à emprunter pour s’assurer du bien-être de leurs travailleurs : confier aux associations patronales qui les représentent aux tables de négociation un mandat clair et réel, soit celui d’améliorer significativement les conditions de travail sur tous les chantiers. En 2025, il sera plus que temps que les employeurs laissent tomber leurs œillères et offrent à leur main-d’œuvre des conditions garantes d’un avenir prometteur.
1 CSTC : article 3.2.6 à 3.2.9