Projet de loi 59, billet N° 3 : la déjudiciarisation du parcours d’indemnisation
Pour ce troisième billet d’une série de quatre, nous vous présentons nos principaux constats et nos plus importantes recommandations sur le système d’indemnisation en santé et sécurité du travail, communément appelé « dossier CNESST ». Il nous apparaît évident que le projet de loi émet de nombreuses conditions et limitations à ce sujet, et le travailleur risque de s’y perdre et d’y laisser des droits.
L’objectif ultime de nos demandes est donc d’améliorer le processus d’indemnisation du travailleur, entre autres, en réduisant les délais administratifs et, par conséquent, sa détresse psychologique, car nous savons tous que les longs délais de traitement et l’attente d’une décision peuvent susciter une grande insécurité.
Pour vous permettre de mieux comprendre ce que nous demandons au ministre du Travail, nous croyons essentiel de vous rappeler les principales étapes d’une demande d’indemnisation, une fois que le travailleur a déclaré son accident du travail ou sa maladie professionnelle à son employeur :
- Réclamation : ouverture de dossier à la CNESST
- Décision de la CNESST : analyse de l’admissibilité de la réclamation
- Contestation si la décision n’est pas satisfaisante :
- La demande de révision administrative (DRA) ; ou
- La reconsidération d’une décision
- Contestation si la nouvelle décision rendue n’est toujours pas satisfaisante : TAT (Tribunal administratif du travail)
Entrons maintenant dans le vif du sujet!
Les délais de traitement des dossiers CNESST sont trop longs. Il faut abolir une des étapes du processus d’indemnisation.
Le premier constat que nous tirons de l’actuel système d’indemnisation est l’inefficacité de la révision administrative, soit la 3e étape du processus. Ce qu’il faut savoir, c’est que la plupart du temps la CNESST reconduit sa décision initiale avant d’être invalidée au TAT. Ainsi, si on éliminait cette étape, au lieu de la rendre optionnelle comme le propose le projet de loi, le travailleur et la CNESST gagneraient temps et énergie. D’une part, les délais de traitement du dossier du travailleur seraient réduits. D’autre part, il serait possible de réaffecter des ressources de la CNESST au traitement des indemnités. Réflexion faite, nous pensons préférable de conserver un seul palier de contestation, soit celui du TAT.
Ce que nous recommandons fortement :
- Abolir l’étape de révision administrative par la CNESST pour toute contestation d’une décision. Conserver un seul palier de contestation, le TAT, afin de rendre le processus d’indemnisation plus efficace.
Le processus peut s’étirer longtemps avant qu’une décision soit rendue. Il faut dès le départ que la demande d’indemnisation soit considérée comme vraie.
Deuxième constat sur le même thème : en ce moment, un dossier peut traîner plusieurs mois, voire plusieurs années avant que le travailleur obtienne gain de cause. C’est inconcevable. Puisqu’il est déjà aux prises avec une blessure ou une maladie professionnelle, il faut lui éviter à tout prix d’être en plus affecté par de longs délais administratifs. La CNESST devrait considérer la bonne foi du travailleur et recevoir sa demande comme fondée. De notre point de vue, il faut remettre à l’employeur le fardeau de la preuve.
Ce que nous recommandons fortement :
- Faciliter l’accès au régime d’indemnisation de l’accidenté du travail en exigeant à la CNESST de traiter toute demande d’indemnisation comme vraie et déposée de bonne foi par le travailleur et en remettant à l’employeur le fardeau de la preuve.
Certains employeurs trichent à l’étape de la réclamation. Il faut que des mesures sévères soient émises pour sanctionner ce genre d’action.
L’un de nos autres constats est qu’il arrive fréquemment qu’un employeur fournisse de faux documents ou des informations mensongères afin de diminuer l’impact sur ses cotisations. Ce genre de situation se produit non seulement lors d’une réclamation en lésion professionnelle, mais aussi lors d’un retrait préventif ou d’une réintégration. Et rien n’est prévu dans le projet de loi pour dissuader un employeur frauduleux. Nous sommes donc d’avis que la CNESST devrait pouvoir réprimer ce genre de pratique.
Ce que nous recommandons fortement :
- Octroyer des pouvoirs à la CNESST pour sévir contre un employeur qui soumet de faux documents dans le cas d’une réclamation ou d’une plainte afin de le dissuader de bafouer les droits du travailleur.
Certains employeurs s’opposent au paiement de l’indemnité de remplacement de revenu (IRR). Il faut que la responsabilité du versement soit entièrement transférée à la CNESST.
Un autre grand constat que nous faisons du présent parcours d’indemnisation est le refus de l’employeur de remplir son obligation de paiement à l’employé blessé ou malade pour le jour de l’accident et les 14 jours suivants. Cette pratique illégale engendre de fréquentes contestations judiciaires. Là encore, rien n’est prévu dans le projet de loi pour agir contre ce genre de situation. Imaginez comme il est terrible pour un travailleur d’avoir des soucis financiers en raison de la mauvaise volonté de son employeur. C’est pourquoi cette responsabilité de versement devrait être transférée à la CNESST, dès le premier jour, sans perte de traitement salarial pour le travailleur. Ainsi, il serait assuré d’obtenir sa rémunération et n’aurait pas à entreprendre un processus de plainte.
Ce que nous recommandons fortement :
- Revoir le mécanisme de paiement des indemnités de remplacement de revenu afin de s’assurer que celles-ci sont versées au travailleur dès le premier jour par la CNESST, et ce, sans perte de traitement salarial.
Un travailleur en assignation temporaire pourrait, suivant ce projet de loi, subir une perte de traitement salarial. Il faut absolument protéger ses gains et maintenir les avantages rattachés au poste qu’il occupait avant l’événement accidentel.
Nous dressons un dernier constat douloureux quant aux dispositions du projet de loi qui ne protègent plus les gains et les avantages de l’employé en assignation temporaire. Comment pouvons-nous être favorables à une telle proposition qui engendrerait une perte de traitement salarial pour un travailleur affecté par une blessure? Si un travail lui est offert, c’est bien parce qu’il s’agit d’une activité productive à l’entreprise, sans compter que le recours à l’assignation temporaire procure déjà un avantage financier à l’employeur (en diminuant, entre autres, ses cotisations à la CNESST). Nous sommes convaincus que le projet de loi représente ici un recul important.
Ce que nous recommandons fortement :
- Conserver la formule actuelle de l’article 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) afin que le travailleur en assignation temporaire ne subisse aucune perte salariale.
En note finale!
Pour conclure ce billet sur la déjudiciarisation du parcours d’indemnisation, nous tenons à souligner que nous accueillons favorablement l’augmentation du délai de rigueur à 60 jours pour porter une contestation au TAT ainsi que la reconsidération d’une décision dans les six mois pour un fait nouveau.
Surveillez notre prochain et dernier billet sur le projet de loi 59!
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Billet N° 1 : le représentant en santé et en sécurité
Billet N° 2 : le coordonnateur en santé et en sécurité
Billet N° 4 : la prépondérance du médecin traitant